Qu’est ce que l’Histoire ?

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Le mot histoire a plusieurs sens. Il désigne à la fois un simple récit distractif, le passé d’une communauté humaine et la discipline qui l’étudie. Dans ce cas là, on parle d’Histoire avec un grand « H ».  Le même mot est alors utilisé pour  qualifier le travail de l’historien et son sujet.  L’ Historien Henri-Irénée Marrou dit d’ailleurs de l’Histoire que c’est « un mixte indissoluble du sujet et de l’objet ».
Pour commencer et pour faire simple, on peut dire de l’Histoire que est une science qui chercher à étudier et faire le récit du  passé de façon objective.
Enregistrement de la leçon du 9 octobre 2017 associant les TL, M. Nérée et O. Mendez
Mais cette définition est contestée.
Que reproche-t-on donc à l’histoire ?
Pour commencer ses sources.  
Ch.V. Langlois et Ch. Seignobos  à l’origine de l' »école méthodique » croient aux documents. Pour eux, « l’Histoire se fait avec des documents. Les documents sont les traces qu’ont laissés les pensées et les actes des hommes d’autrefois ». Ils pensent alors essentiellement aux traces écrites. Mais tous les documents ne sont pas fiables. Il existe des faux célèbres en  Histoire. La Donation de Constantin, datée prétendument du IVème siècle est sensée être la preuve du don de l’autorité sur l’occident au Pape Sylvestre par l’empereur Constantin. Ce document a été utilisé par la suite à partir du Xème pour assoir les revendications territoriales et politiques papales. Certains manuels scolaires reproduisent de faux documents. C’est le cas de la photographie célèbre Mort d’un poilu  ou Verdun 1916. Il s’agit en réalité un photogramme extrait d’un film de fiction produit en 1928 pour le dixième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale : Verdun, vision d’Histoire. de Léon Poirier.
Photogramme du film de 1928

DVD : Apocalypse VERDUN
Alors que faire lorsqu’on n’ a pas de documents ?  Lucien Febvre propose une solution dans Combat pour l’Histoire : « L’ Histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se faire avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser… donc des mots, des signes, des paysages et des tuiles. Des formes de champs et des mauvaises herbes. Des éclipses de lune et des colliers d’attelage ». On peut également utiliser des témoignages directs. Mais l’historien Marc Bloch conseille la plus grande prudence dans ce domaine. Il écrit dans Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre: « Il n’y a pas de bon témoin […]Sur quels points un témoin sincère et qui pense dire vrai mérite-t-il d’être cru».
Mais le bon historien, lui,  sait choisir ses documents.
Dès le 15ème siècle la Donation de Constantin fait l’objet d’une critique rigoureuse du texte (herméneutique). On retrouve cette démarche au 19ème siècle,  Ch.V. Langlois et Ch. Seignobos  définissent une méthode qu’ils veulent rigoureuse. Depuis, tout historien soumet ses sources à une double critique. Cette critique est externe (D’où proviennent les documents ? Sont-ils de première main ou des copies des adaptations ? ) et interne (Que disent-ils ? Que peut-on retenir comme véridique dans le document ? ). On vérifie ainsi la validité des documents. La rigueur de cette démarche amène Ch.V. Langlois et Ch. Seignobos  à penser que « l’Histoire est une science ».
Il n’empêche que le méthode est aussi critiquée.  
Le raisonnement historique ne serait pas scientifique. En science, le raisonnement est le plus souvent (mais pas exclusivement) hypothético-déductif et la démarche est expérimentale. Pour faire simple, dans un raisonnement hypothético-déductif, on pose une hypothèse, on imagine par le calcul son résultat et on confronte ce résultat à une expérience que l’on peut reproduire pour le valider et en faire une loi.
En voici un exemple célèbre : il y a cent ans avec sa théorie de la relativité générale, Einstein émet l’hypothèse que l’univers doit connaître des déformations de l’espace-temps. Pour lui les calculs sont formels. Sauf que cette hypothèse n’a été vérifiée par l’expérience que l’année dernière aux Etats-Unis grâce aux détecteurs du projet Ligo qui ont repéré des ondes gravitationnelles provoquées par la collision de deux trous noirs il y a 1.3 milliard d’années.
En histoire, c’est différent. Paul Veyne souligne que : « L’histoire […]ne peut déduire et prévoir « . Il prend l’exemple de la Révolution française. Il dit qu’il n’existe pas de « théorie générale de la révolution d’où se déduirait 1789 ».
Cependant, l’historien n’utilise pas les documents au hasard, au « petit bonheur la chance » de ses découvertes.  Il définit des problèmes, des questions auxquelles il tente de répondre en choisissant et en  analysant de nombreux documents choisis. C’est ce que François Furet appelle dans L’Atelier de l’Histoire :  l' »Histoire-problème« .
Prenons un exemple simple. Si nous nous posons la question de savoir si, à Mirande, les conditions d’accueil des Harkis étaient bonnes. Celui qui se contentera des comptes-rendus officiels pourrait avoir le sentiment qu’elles étaient satisfaisantes au risque de chagriner  des témoins dont les souvenirs de cette période sont plutôt sombres. Il convient donc de constituer un corpus documentaire riche et varié pour se faire une idée exacte des conditions de vie dans le hameau de Harkis de Mirande et répondre ainsi  à la question initiale.
Il est cependant possible de faire une objection. Les sciences réputées comme telles ont aussi leurs limites. La démarche n’est pas toujours conclue par des expériences que l’on peut reproduire. En astronomie, on ne peut reproduire les conditions de la collision de deux trous noirs ou l’explosion d’une supernova. La découverte du boson de Higgs, particule élémentaire fondamentale en physique ne s’est faite qu’au moyen d’une expérience que l’on ne pourra certainement pas reproduire  de si tôt.
On reproche également à l’historien ce qu’il dit. Mais que dit-t-il donc ?
Pour l’Allemand du 19ème siècle, Léopold Von Ranke, la réponse est simple : L’historien doit  seulement montrer « ce qui s’est réellement passé » Il doit donc objectivement faire le récit de la vérité. Ces deux termes sont critiqués. Certains remarquent qu’en s’attachant à tel ou tel personnage, en narrant de façon linéaire des faits sélectionnés, l’histoire s’apparente à un exercice littéraire. François Furet  note qu’: « il n’y a pas de fait « pur » : le fait historique est un choix intellectuel ».  Paul Veyne conclut donc  : « L’histoire est anecdotique, elle intéresse en racontant, comme le roman. ». 
Faut-il rappeler cependant que si l’historien est d’un point de vue social dans l’obligation de dire la vérité, le romancier ne l’est pas. Arlette Farge le dit mieux que moi dans Des lieux pour l’histoire :  » De l’histoire, il faut dire à quel point son récit est indispensable car aucune société ne peut se passer de son statut de véridicité et des protocoles de recherche qui en assurent à la fois la cohérence, la fiabilité, l’éthique. Même reformulée, revisitée sans cesse parce que réinterrogée par le présent, l’histoire est à chaque époque le récit raisonné des événements, celui qui en évite la falsification et la honte des dérapages flagrants ou des dénégations mortifères ». Bien avant elle, s’était déjà le souci de l’un des pères des historiens : Thucydide.  Celui-ci écrit dans le livre I de l’Histoire de la Guerre du Péloponnèse : « On doit penser que mes informations proviennent des sources les plus sûres et présentent, étant donné leur antiquité, une certitude suffisante ».   
Si les historiens font le récit de la vérité, pourquoi ne racontent ils pas toujours la même histoire lorsqu’ils évoquent les mêmes faits ou évènements. Abderahmen Moumen en offre un exemple quand il explique que pour des historiens comme Benjamin Stora, Mohammed Harbi ou Guy Pervillé considèrent que la France a abandonné les harkis en Algérie contrairement à ce que pense Charles-Robert Ageron. Alors que Raphaëlle Branche se montre plus nuancée sur la question.
S’il est indéniable que tout historien reste influencé par sa sensibilité ce qui le rend subjectif, la diversité des récits s’explique aussi le plus souvent par l’évolution de l’état des connaissances. Le récit historique est donc une construction sans cesse renouvelées. Lucien Febvre écrivait  » L’historien n’est pas celui qui sait mais celui qui cherche « . Pierre Nora ajoute dans Les lieux de mémoire : « L’histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus ».
L’Histoire avec un grand H a-t-elle un sens ?
 « L’Histoire avec sa grande Hache » Georges Perec  dans le chapitre II de W ou le Souvenir d’enfance.
 Il y a eu plusieurs tentatives de donner un sens à l’Histoire, des essais destinés à lui donner une logique, une finalité. Par exemple, Karl Marx, considère que l’Histoire est le résultat d’une lutte des classes opposant continuellement dominants et dominés et se concluant finalement par une révolution prolétarienne permettant la disparition à terme des classes sociales et de l’Etat. Cette vision des choses est à l’origine d’une école historique : le matérialisme historique qui accorde beaucoup de place à l’économie et aux rapports sociaux dans l’explication de l’évolution de l’humanité. Problème, on peut reprocher au matérialisme historique de minorer voire nier le rôle des individus dans l’histoire et de déterminer ainsi les destinées humaines.  Ensuite, la prophétie marxiste ne s’est encore jamais réalisée. Même dans les pays se réclamant du marxisme les classes n’ont pas fini par disparaître entrainant avec elle l’Etat. Le bloc soviétique s’est effondré sans avoir vu l’avènement du stade ultime de la lutte des classes : le communisme.
Cette dislocation en 1991, offre un rare exemple de pronostic gagnant en histoire. On doit cette prédiction à l’historien Emmanuel Todd. Dans l’ouvrage La Chute finale publié en 1976, il prédit la fin de l’URSS compte tenu du déclin démographique et économique du pays.
On peut donner un autre exemple de tentative de donner un sens à l’histoire avec la théorie de la Fin de l’Histoire du philosophe américain Francis Fukuyama. Pour lui, au début des années 90, la dislocation de l’URSS devait aboutir à la généralisation de la démocratie libérale inscrite dans une logique de marché. Problème, les dictatures n’ont pas disparu, certaines semblent même apparaître sous de nouvelles formes, et de nombreux espaces restent marginalisés dans le contexte de la mondialisation.
On peut aussi voir l’histoire comme un continuel progrès. L’Allemand Norbert Elias pensait que l’histoire allait dans le sens d’une civilisation de l’Occident en ce sens que les rapports humains devenaient moins violents, plus codifiés et pacifiés. Il publie Le processus de Civilisation en 1939. Or les crimes commis par les nazis sont venus démentir sa théorie en montrant que le retour à la barbarie était possible. Des années plus tard, il s’est efforcé dans un ouvrage intitulé Les Allemands de décrire toutes les conditions historiques qui ont provoqué la « dé-civilisation » de l’Allemagne dans les années 30-40.
 Il est donc difficile de conclure que l’histoire a un sens ce qui, du coup, la rendrait prédictible. Il existe cependant des processus sur le long terme qui résultent de la combinaison de différents facteurs. Certains se traduisent par le progrès d’autres par le déclin. A ce titre, j’attire votre attention sur le livre de l’Américain Jared Diamond, Effondrement. Il explique comment certaines sociétés comme la population de l’île de Pâques ont pu disparaître. Il démontre que ces disparitions sont presque a chaque fois le résultat de la combinaison de facteurs multiples liés à la dégradation écologique, aux changements climatiques et aux rivalités entre populations.
Il est donc difficile de soutenir que l’histoire à un sens, qu’elle serait du coup prédictible ou qu’elle pourrait se répéter. Marx note dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte   « Hegel fait remarquer quelque part que, dans l’histoire universelle, les grands faits et les grands personnages se produisent, pour ainsi dire, deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde comme farce. Caussidière et Danton, Louis Blanc et Robespierre, la Montagne de 1848-1851 et la Montagne de 1793-1795, le neveu et l’oncle. » On lui attribue également cette citation : « L’Histoire ne se répète pas elle bégaie ».
Conclusion :  Comment définir l’histoire?  On pourrait la définir comme une discipline reposant sur une technique rigoureuse de questionnement des sources pour faire le récit sans cesse renouvelé mais vrai d’un passé auquel on peine à donner un sens logique.  
Auteur : Manuel Nérée
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